Felicia Atkinson

Projects :
Artists Print, Kopioitu, Nothing Political, Studios 2013, Studios and office, Studios and Offices 2012, THE CURE, The Fridge, YEAR 13, YEAR 2011, YEAR 2012

Sonia Dermience : Félicia Atkinson, c’est un nom américain?


Félicia Atkinson : C’est un nom anglais, du père de mon père de mon père. Ma mère est polonaise, je suis née à Paris. Ma mère travaillait à la bibliothèque nationale, j’allais à l’école près de son travail, à 45 mn en métro. J’ai commencé à prendre seule le bus et le métro vers 9 ans. J’ai toujours eu l’impression que pour faire quelque chose il fallait se déplacer, qu’on ne pouvait pas venir du lieu où on se rendait. En vacances, nous allions en Pologne, chez ma grand-mère, dans son village, dans les années 80, il n’y avait pas de téléphone, des magasins d’Etat vides et encore des charrettes à cheval. Les vacances étaient comme un voyage dans le temps. Enfant je pensais qu’on choisissait son mari en fonction de son lieu, je voulais épouser un pygmée – ils avaient ma taille d’enfant de 8 ans et je trouvais ça formidable et j’aimais leurs chants et le fait qu’ils vivent dans la forêt, ils étaient pour moi des adultes qui ne grandissaient pas – ou un eskimo, car j’aimais beaucoup leurs anoraks et leurs igloos. J’étais très influencée par Les Albums du Père Castor.


S : Je t’ai vue jouer dans des endroits « noise », ce genre musical fait de nappes de sons sortis de machines à touches multiples, de voix monocordes ou déchirées, d’instruments comme la harpe que tu utilises aussi ou le clavier. Souvent tu es assise sur le sol, il fait sombre et il y a parfois de l’éclairage naturel comme des bougies ou une fenêtre.


F : Déchirer le son, se mettre au sol, c’est proposer une forme de violence, de débordement, un changement de niveau sonore ou d’échelle, qui ne soit pas une agression. On mélange souvent les deux termes, violence et agression, on les confond. Quand le tonnerre gronde, ça n’agresse personne, contrairement à la foudre, pourtant c’est violent et beau et chaotique et organisé en même temps. Il y a des violences qui peuvent être douces, comme un massage, un plat pimenté ou un très bon whisky. C’est cette violence-là, qui justement, n’est pas sourde, qui écoute, qui m’intéresse, qui possède en elle une forme de silence monolithique, et de liberté. Faire un dessin est pour moi un acte de silence, en tant que musicienne. Faire un son est un acte aveugle, vu de mon point de vue d’artiste.


S : Tu poses des plantes et des dessins qui ressemblent à des choses végétales ou animales ou humaines. Puis des formes architecturales souvent géodésiques. C’est quoi le géodésique? ça vient de l’architecture hippie?


F : Il s’agit de bâtir des campements, des territoires nomades. Je mets des choses au sol et au mur, ce sont des agencements comme quand on décide de camper quelque part, puis avec les instruments je compose un hymne abstrait, et comme tu dis, la plante communique avec le dessin qui communique avec le petit chemin qui se dessine entre les pièces posées au sol. Je vois les choses de manière plutôt circulaire, cosmique, il n’y a ni début ni fin, il y a des entrées multiples.


S : Tu n’es pas un personnage fixe mais tu reviens souvent sur tes pas. Il y a cette recherche qui est proche de l’informe, c’est pas Allen Rupperberg tes dessins, c’est davantage nourri de musique que de littérature, davantage organique et si c’est une architecture, il y a des esquisses et des lignes droites mais alors en triangle, pas carré. 


F : Oui l’informe, c’est ça. Même si je marche beaucoup et que j’aime aussi danser, je ne suis pas très sportive. Je n’aime pas les exercices. J’aime beaucoup dormir. Je rêve beaucoup. Il y a des lieux que je ne visite qu’en rêve, des appartements, je me demande parfois où ils s’en vont quand je me réveille et comment font-ils pour réapparaître, comme la neige, l’air de rien, pendant le sommeil. Je pense au langage, qui si l’on en croit Lacan, définit les formes, et pourtant, il reste des formes sans mots. Elles deviennent alors des sculptures ou des dessins. C’est aussi un peu vaudou. Je me demande toujours, comment faire une forme qui soit comme un corps qui dort. Il a l’air endormi, on ne peut pas savoir les rêves qu’il y a dedans, mais on sent que quelque chose de tapis ce passe. Il n’y a pas de mot à mettre dessus. Peut être juste une couverture pour ne pas avoir froid.


S : Il y a aussi les disques et les cassettes, tu presses des sons et tu imprimes les pochettes et des dessins en multiples exemplaires. Tu as fondé Shelter Press avec Bartolomé Sanson… 


F : Shelter Press c’est notre dôme, encore une fois une histoire de territoire en mouvement. L’imprimé, le multiple permet le partage, l’archivage à échelle, le support n’est jamais conçu comme seulement un document mais comme une pièce en soi. Le plus important n’est pas le contenu mais le sens. Shelter press a une identité graphique forte mais dans un sens déteste le graphisme pour le graphisme. On ne fera jamais un livre pour qu’il soit joli sur une étagère. On fera un disque ou un livre comme on bâtit une maison dans ce souci de l’intérieur et de l’extérieur.


S : Tu es plutôt Black Mountain College que Bauhaus. Plutôt Monte Verita avec la nature recréée dans les intérieurs que tu habites ? Tu enseignes à l’Ecole des Beaux-Arts d’Annecy dans les Alpes en France, ça t’inspire quoi ?


F : Harald Szeeman, Buckminster Fuller, La Monte Young ou John Cage sont pour moi des lanternes vitales. L’idée d’un enseignement perpétuel est très importante, celle aussi du Maitre ignorant dont parle Jacques Rancière. J’apprends aux élèves que je ne sais pas, ils me communiquent ce qu’ils ne savent pas non plus, et ensemble nous apprenons. La nature, c’est Walden et Thoreau aussi. Devenir animal, végétal, minéral. Le fait que l’Ecole d’Annecy soit au creux des montagnes était extrêmement attractif et inspirant pour moi.


Brussels, March 2013


http://feliciaatkinson.be